Entre les loups affamés et la tortue géante. (1986)
Depuis plus de dix ans, nous vivons en marge d’un des principes les plus fondamentaux des sociétés industrialisées qui peut s’énoncer par le slogan qui en rappelle un autre ’le travail rend digne’.Aujourd’hui encore, on aborde le problème du chômage avec d’anciennes méthodes qui ne tiennent pas compte de la nouvelle donne technologique.En effet, la crise actuelle, à la différence des crises économiques précédentes, est une crise de surproduction.L’automatisation de la gestion et de la production laisse présager une très forte diminution des besoins en personnel dans tous les secteurs de l’économie, même le secteur tertiaire qui a été jusqu’à maintenant la principale ’éponge’ à chômeurs.
Si on essaie de redresser la situation par une augmentation de la production, le consommateur de demain risque fort de ressembler à une oie que l’on gave pour absorber les excédents produits !
Pourtant, le travail est encore un élément stabilisateur de notre société et les pays de l’Est nous apportent un élément de solution puisque chez eux, le ’chômage’ n’existe pas.Cependant, il est clair que la meilleure productivité ne peut être atteinte que dans un environnement de concurrence où le marché est régulé par la loi de l’offre et de la demande.
Le chômage n’est peut être qu’un faux problème qui masque une inadaptation de notre structure sociale aux nouveaux moyens de production de biens et services.Les motivations exactes qui poussent l’Homme à travailler sont sans doute aussi nombreuses qu’il y a de personnes actives sur notre planète.On peut cependant définir plusieurs grandes lignes comme un tempérament actif, l’appât du gain ou le besoin de plus d’’avoir’, le besoin de se racheter ou d’oublier, qui ne sont bien sûr pas exclusives entre elles.
On pourrait penser, dans notre forme de pensée occidentale que la principale motivation vient de l’appât du gain, mais l’attitude de certains individus qui préfèrent une activité même peu rémunérée à l’oisiveté nous montre que le problème n’est pas si simple.Non nous trouvons devant une double contradiction : d’une part de nombreux individus qui cherchent un emploi à tout prix sans en trouver et d’autre part des salariés qui parfois préfèreraient arrêter provisoirement ou définitivement de travailler pour se consacrer à des activités plus personnelles, à des études ou à une vie familiale plus intense, même au prix d’une forte diminution de ressources.La discontinuité qui existe actuellement entre travail et oisiveté empêche toute régulation souple de la masse des ’actifs’ car tout changement de statut ne peut se faire qu’au prix d’une rupture brusque de l’activité.
Des solutions ont déjà été proposées, mais leur isolement du contexte général les empêche d’atteindre leur pleine efficacité.
Sans prétendre découvrir de nouveaux moyens de lutte contre le chômage, il est utile de réfléchir sur ce qui existe et les moyens de créer un système cohérent reposant sur certaines méthodes légèrement modifiées et organisées.On pourrait, en généralisant, proposer un système de travail orienté selon quatre grands axes :
- Emploi classique dans le cadre d’une économie libérale.
- Petits boulots à temps partiel ou à durée limitée avec limitation des charges sociales.
- Travail d’Utilité Collective sans limitation d’âge.Cette activité qui serait orientée surtout vers la vie associative permettrait une humanisation de la société et pourrait rendre de grands services qu’il est impossible d’énumérer ( maintien des personnes âgées dans la vie sociale, aide au rattrapage scolaire, animation de loisirs ...).La vie au foyer d’un des parents pour l’éducation des enfants serait bien sûr considérée comme TUC.Ce statut serait le point zéro du système et donnerait droit à un minimum de ressources garanti.
- Travail d’Utilité Générale comme peine de substitution aux condamnés à des peines légères.Cette formule donne aux délinquants la possibilité de se racheter vis à vis de la société, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour leur réinsertion.Des travaux forcés plus rudes seraient peut être dissuasifs pour les grands criminels.
L’avantage d’un tel système serait sur le plan individuel, la possibilité de ’décrocher’ facilement pour se recycler ou changer de rythme de vie, et sur le plan collectif le moyen simple de réguler la portion de population ’active’ par une variation du minimum social garanti. En effet, une légère baisse de ce minimum déplacerait une partie des individus vers le travail traditionnel et vice verça.La généralisation des peines de substitution désengorgerait les prisons, ce qui éviterait d’investir dans un domaine en régression dans une société plus juste.Les négociations ’musclées’ qui ne manqueraient pas d’avoir lieu entre syndicats de TUC et responsables économiques auraient l’avantage de profiter à la majorité de la population.Le coût d’une telle modification de l’organisation du travail dans notre société ne dépasserait pas forcément celui de notre système actuel.Dans un premier temps, la phase de rodage nécessiterait un complément pour les chômeurs. Celui ci diminuerait au fur et à mesure que des places se libèreraient dans l’économie libérale.
A terme on pourrait faire entrer les retraites minimales dans ce système, tout en diminuant peu à peu le nombre de caisses de retraites complémentaires pour une meilleure homogénéisation.D’autre part, l’allocation d’un capital correspondant au tiers du capital d’une SARL, disponible à leur majorité permettrait aux jeunes de créer à plusieurs leur propre entreprise et équilibrerait les chances des nouvelles générations, tout en stimulant l’esprit d’entreprise.
On a longtemps stigmatisé le système collectif des pays de l’Est, mais de plus en plus, on se rend compte que les deux idéaux issus du XIXe siècle ’capitalisme’ et ’communisme’ sont obsolètes et ne répondent plus seuls aux aspirations de la société moderne.La société de demain sera mixte, c’est ce qu’ont déjà compris les chinois et ce qu’entrevoient les soviétiques.Si nous voulons participer au grand réveil, il est grand temps de nous inspirer des exemples orientaux comme ceux-ci s’inspirent de l’occident, car les démarches sont complémentaires.Mais alors que l’orient doit éviter un dérapage vers un système économique sauvage qui conduit à une concentration exagérée de l’économie entre quelques dizaines de ’familles’, l’occident doit réorganiser ses structures pour une meilleure distribution des richesses.
L’économie, libéralisée à l’Est et régulée à l’Ouest, ouvrira peut-être la porte à la science qu’elle prétend être afin de préparer un système international cohérent.Il sera enfin temps de penser aux deux hommes sur trois qui ont faim dans le monde, souvent à cause de ce soit disant libre échange qui a fait leur perte et notre richesse.Il faudra bien qu’un jour on trouve le moyen comptable et politique de faire profiter les ghettos du tiers monde des surplus de production au lieu de favoriser les marchands de congélateurs mais ça, c’est une autre Histoire...
Rennes le 16/12/1986 Z.
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