Deutschland unter allen. (1989)
Deutschland unter allen.
Deux générations après l’anéantissement de l’Allemagne nazie, voici que l’aigle germanique relève la tête.
Les chefs d’entreprise de l’Ouest se frottent déjà les mains à l’idée du flot de capital qui se déversera par la brèche du mur, et les politiciens rêvent de l’élargissement de leur pouvoir vers l’Est minoritaire tandis qu’après les multiples déclarations refusant la réunification, la république démocratique joue la jeune fille pudique en affirmant qu’elle n’est pas à vendre...
Alors qu’à Varsovie le chef du gouvernement ouest-allemand affirmait aux Polonais qu’ils n’avaient rien à craindre, les minorités de ce pays clamaient dans les médias qu’ils étaient allemands avant tout. Ils laissaient entrevoir un futur débat, puisant leurs nouvelles forces d’un éventuel Anschluss dans la façon toute diplomatique avec laquelle le Chancelier avait blousé tous les chefs d’Etats européens par le double langage, d’abord en refusant toute idée de réunification, puis en proposant son plan en dix points de reconstruction d’une Allemagne unique.
Déjà la montée de l’extrême droite donne l’importance du mouvement néo-fasciste tandis que la xénophobie latente se libère sous le prétexte des réfugiés de l’Est qui prennent la place des travailleurs immigrés que l’on refoule peu à peu aux frontières de l’Allemagne nouvelle purifiée du sang étranger et bientôt des armées d’occupation. Pour certains, le sentiment de culpabilité après le bain de sang du troisième Reich fait place aux descriptions d’une Allemagne victime de ces méchants alliés venus bombarder et occuper leur chère patrie.
Pour d’autres la prétention germanique revoit le jour dans le mépris de plus en plus affiché des peuples voisins inférieurs économiquement et effrayés par la nouvelle puissance d’un pays reconstruit. On se demande ce qu’il reste de la nouvelle pensée allemande lorsque l’on entend dire que les événements de l’Est européen ont eu lieu grâce à l’Allemagne, trahissant le sentiment de supériorité qui présage peut-être déjà le combat des arcs de triomphe de Berlin et Paris, attisé par la bêtise de ceux qui ont encore besoin d’une nationalité pour exister. Les slogans à la mode diffèrent parfois d’un seul mot de ceux qui étaient de mise entre 1933 et 1945 et le public averti voit peu à peu se planter le décors de la période à venir.
Mais pour jouer quelle pièce ?
Derrière les préjugés modelés par le passé la vérité est certainement moins simple, car face au courant qui tente de travestir la réalité ou de répéter l’Histoire il y a tous ceux qui s’en tiennent à la promesse d’un peuple entraîné dans l’erreur du nazisme : ’plus jamais ça’, concrétisée dans la volonté de faire le Bien par le slogan ’wieder gut machen’.
Il y a aussi la majorité de la population qui n’a pas connu la guerre et ne peut donc pas être tenue responsable du passé...
Ainsi l’Allemagne veut-elle peut-être affirmer que la période d’après guerre est révolue...Le temps des mots interdits, des blessures répétées à la fierté d’une population par les multiples vexations d’un peuple vaincu. L’Allemagne a prouvé par quarante-cinq ans de paix et la fantastique réussite économique qui a fait de chacune de ses moitiés la meilleure réalisation du modèle suivi par les blocs auxquels elles appartiennent, qu’elle pouvait reprendre sa place dans le concert des nations pacifiques.
Dans de nombreux domaines elle sert d’exemple par le travail accompli depuis son anéantissement.Les Allemands désirent donc qu’on les considère pour ce qu’ils sont depuis 1945 et l’attitude des autres peuples à leur égard aura sans doute une grande influence sur l’avenir de leurs relations avec l’extérieur.Cependant, ceux qui dans l’Allemagne nouvelle affirment avec assurance, lorsque l’on parle de la résurgence des mouvements fascistes, qu’il les tiennent bien en main devraient se méfier de ces certitudes car les démons ne meurent pas, ils dorment...
La coopération avec la France sera-t-elle le début d’une complémentarité bénéfique issue d’une Allemagne unie dans un oui collectif aux côtés d’une France plus portée sur le non individualiste ? Ou bien les faiblesses des deux peuples s’uniront-elles dans le fascisme et le désordre ?
Cela dépendra peut-être de la façon dont l’Europe capitaliste saura ou non apprendre des nouveaux venus de l’Est dans la maison commune.
Car ceux qui déclarent déjà le capitalisme vainqueur du communisme ne comprennent pas que la vague occidentale qui semble submerger l’Est n’est sans doute que le début d’un raz de marée oriental...
A l’heure où le mur de la honte tombe à Berlin, sur quel bord restera-t-elle dans l’Histoire ?Du côté de l’erreur d’un système qui ne reconnaissait pas l’individu et a nivelé la société par le bulldozer idéologique, ou bien de celui des vautours devenus aigles à force de pillage du tiers monde et d’esclavage des prolétaires ?
Le jour où les peuples qui ont le courage de reconnaître leurs faiblesses se rendront compte que le capitalisme n’est qu’un leurre créé par une minorité pour attirer les naïfs, ceux qui aujourd’hui démissionnent se réveilleront pour porter à bout de bras la vague orientale qui se prépare.Ce mouvement populaire finira dans l’horreur d’une guerre civile ou dans l’espoir d’une société nouvelle animée par l’enrichissement commun des idéaux aujourd’hui enfermés dans des blocs.
L’ouverture des frontières politiques, économiques, culturelles, ainsi que les mouvements humanitaires, tissent peu à peu la toile qui supportera l’image du monde de demain.Mais au fur et à mesure de l’élargissement des blocs politiques et de l’information, l’individu apparaît de plus en plus fondamental dans le devenir de l’ensemble, car la démocratie donne au peuple le pouvoir d’exprimer ses désirs de vengeance ou de réconciliation.
La réalité de faits sera-t-elle plus forte que les préjugés qui cachent la nature humaine sous des enveloppes factices ?
Les Allemands victimes de l’invasion des troupes napoléoniennes n’ont pas le même visage que les nazis d’Hitler.Les Français luttant pour leur liberté semblaient différents de leurs hordes colonisatrices.Les Américains morts sur les plages de Normandie avaient-ils un lien quelconque avec les responsables du génocide indien ?Les impérialistes économiques Japonais d’aujourd’hui n’ont- ils pas appris des armées du libre échange ?Les Soviétiques qui ont libéré les camps de concentration n’ont-ils pas construit les goulags ?Les Polonais victimes du pacte germano-soviétique n’ont-ils pas fait subir des siècles durant leur domination aux Russes ?Les Juifs chassés de leur terre étaient-ils du même peuple que celui qui vit aujourd’hui en Israël ?
Les Allemands qui portent la responsabilité de la première idéologie destructrice formalisée savent le poids de l’Histoire sur un individu.L’Allemagne reconstruite symbolisera-t-elle la capacité à un peuple de réparer son passé après l’avoir racheté ?
C’est ce qu’espèrent tous ceux qui croient en elle. Tous ceux qui pendant son bannissement continuaient à enseigner et apprendre sa langue, à étudier sa civilisation et à croire en son avenir.
Alors, comment les Allemands marcheront-ils vers leur futur ?Les premiers points de la réunification seront-ils l’Autriche, la Tchécoslovaquie et la Pologne, ou bien la lutte pour la reconnaissance des peuples européens dont certains sont encore victimes des réorganisations territoriales faites sous le troisième Reich ?
La régionalisation européenne apportera-t-elle la paix dans les zones ballottées par l’Histoires ou peuplées de mélanges ethniques issus de décisions politiques ?
Les Allemands qui après l’antisémitisme de la dernière guerre se répandent en autocritique sauront-ils faire la différence entre le peuple Juif et le sionisme ?
Dans ce nouveau départ, ils auront besoin du courage qui les caractérise mais aussi de l’humilité si bien exprimée par la façon particulière dont leur langue désigne l’appartenance à un groupe, avec cette ambiguïté qui confond ’parmi’ et ’au dessous’, comme pour affirmer que l’on n’est rien sans le soutien des autres qui nous entourent...
Et si chaque langue porte un message par les relations qu’elle compose entre les mots, le Russe a sa voie toute tracée puisqu’il unit le monde et la paix dans les trois lettres MIR...
Berlin Hammelburg Décembre 1989 Z.
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